La raison humaine;
L’ataraxie (du grec ἀταραξία, signifiant « absence de troubles »)
apparaît d'abord chez Démocrite et désigne la tranquillité de l’âme
résultant de la modération et de l’harmonie de l’existence.
L’ataraxie devient ensuite le principe du bonheur (eudaimonia)
dans le stoïcisme, l’épicurisme et le scepticisme.
Elle provient d’un état de profonde quiétude,
découlant de l’absence de tout trouble ou douleur.
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Épochè est un mot grec (ἐποχή / epokhế) qui signifie
« arrêt, interruption, cessation ». En philosophie,
ce terme désigne la suspension du jugement.
Pour Zénon de Cition, fondateur du stoïcisme vers 303 av. J.-C.,
le sage ne doit pas donner son assentiment (sugkatathesis)
de façon précipitée à chaque représentation (phantasia)
qui se présente à lui. Sur ce qui n'est pas certitude,
« représentation compréhensive » (phantasia katalêptikê)
le sage ne donne pas son approbation.
Chez les sceptiques, l'épochè désigne la suspension du jugement.
On s'abstient de toute assertion, soit favorable, soit défavorable,
pour ou contre.
Pyrrhon lui-même, fondateur du scepticisme vers 322 av. J.-C.,
ne se prononce pas. Diogène Laërce (IX, 62) dit de Pyrrhon :
« Il philosophe en suivant le principe de la suspension. »
Mais, à son époque, Pyrrhon se contente de prôner
l'indifférence devant les opinions et les événements,
car « aucune chose n'est plus ceci que cela » (Diogène Laërce, IX, 61),
ce qui signifie, dit P. Hadot, que "l'homme ne peut pas faire
de différence entre les choses, ni du point de vue
de la valeur ni du point de vue de la vérité ».
Pyrrhon recommande, au fond, un genre de vie,
une attitude faite de détachement,
qui engendre l'ataraxie (l'imperturbabilité),
c'est-à-dire la paix intérieure.
Pour le disciple de Pyrrhon, Timon de Phlionte
(vers 280 av. J.-C.),
« Il faut demeurer sans opinions, sans penchants et
sans nous laisser ébranler, nous bornant à dire de
chaque chose qu'elle n'est pas plus ceci que cela ou
encore qu'elle est en même temps qu'elle n'est pas
ou bien enfin ni qu'elle est ni qu'elle n'est pas.
Pour peu que nous connaissions ces dispositions, dit Timon,
nous connaîtrons d'abord l' "aphasie"
(c'est-à-dire que nous n'affirmerons rien),
ensuite l' "ataraxie"
(c'est-à-dire que nous ne connaîtrons aucun trouble) »
(Eusèbe de Césarée, Préparation évangélique, XIV, 18, 2).
L'épochè s'impose dans le néo-pyrrhonisme, scepticisme
au sens le plus strict, surtout chez Sextus Empiricus (début du III° s.).
Selon lui, la suspension du jugement (épochè) est le refus d'accorder
son assentiment à une représentation (phantasia) ou à la raison (logos)
parce que les arguments contraires ont une égale force.
Toujours selon Sextus Empiricus, la suspension est
le but du scepticisme et l'unique moyen de lutter
efficacement contre l'imagination et la raison.
« La suspension est l'état de la pensée où
nous ne nions ni n'affirmons rien. Quiétude (arrepsia),
c'est la tranquillité et la sérénité de l'âme »
(Sextus Empiricus, Hypotyposes pyrrhoniennes, I, 10).
Cependant, cette vision est un argument bien plus sceptique
que propre à l'épochè, puisque le scepticisme doute
de chaque affirmation, et donc rejette tout semblant
de “vérité”. Or si l'on doute de chaque affirmation,
impossible d’en accepter aucune...
L'épochè, au contraire, ne remet pas en cause
la légitimité de chaque point de vue : elle les accepte
comme tels, malgré leur apparence antithétiques.
C'est une doctrine plus respectueuse, si ce n'est bienveillante,
puisqu'elle sous-entend curiosité et indulgence envers
chaque opinion, et non pas méfiance et mépris.
Doctrine générale
Arcésilas de Pitane (chef de la 2e Académie de Platon vers 268 av. J.-C.)
fut le véritable premier théoricien de l'épochè, ce type d'absence
de jugement, s'éloignant subtilement du scepticisme.
« C'est contre Zénon [de Cittium] qu'Arcésilas,
d'après la tradition, engagea le combat (....),
à cause de l'obscurité des choses qui avaient amené
Socrate à avouer son ignorance...
Il pensait donc que tout se cache dans l'obscurité,
que rien ne peut être perçu ni compris ;
que, pour ces raisons, on ne doit jamais rien assurer,
rien affirmer, rien approuver ; qu'il faut toujours brider
sa témérité et la préserver de tout débordement,
alors qu'on l'exalte en approuvant des choses fausses
ou inconnues ; or rien n'est plus honteux que de voir
l'assentiment et l'approbation se précipiter
pour devancer la connaissance et la perception »
(Cicéron, Les Académiques, I, 45).
Non seulement Arcésilas théorise, mais il pratique :
« Il agissait selon cette méthode, si bien qu'en
réfutant les avis de tous il amenait la plupart de ses
interlocuteurs à abandonner leur propre avis.
Quand on découvrait que les arguments opposés
de part et d'autre sur un même sujet avaient
le même poids, il était plus facile de suspendre
son assentiment, d'un côté comme de l'autre »
(Cicéron, Les Académiques, I, 45).
l'épochè selon Husserl
Chez Husserl (qui, lui, s'oppose explicitement
au scepticisme, et adopte cependant ce terme)
et dans la phénoménologie, l'épochè désigne la
mise en suspens de la thèse naturelle du monde,
c'est-à-dire la croyance à la réalité extérieure
du monde. Mais il ne s'agit pas du tout de
douter de la réalité du monde. Cette mise
entre parenthèses a pour but de ne laisser
que le phénomène du monde, qui est une pure
apparition, et qui n'affirme plus la réalité
de la chose apparaissant.
« L'ἐποχή phénoménologique. À la place de
la tentative cartésienne de doute universel,
nous pourrions introduire l'universelle ἐποχή, au sens
nouveau et rigoureusement déterminé que nous lui
avons donné. (...) Notre ambition est précisément
de découvrir un nouveau domaine scientifique,
dont l'accès nous soit acquis par la méthode
même de mise entre parenthèses (...).
Ce que nous mettons hors de jeu, c'est la thèse générale
qui tient à l'essence de l'attitude naturelle (...).
je ne nie donc pas ce monde comme
si j'étais sophiste ; je ne mets pas son existence
en doute comme si j'étais sceptique ;
mais j'opère l'ἐποχή phénoménologique
qui m'interdit absolument
tout jugement portant sur l'existence spatio-temporelle.
Par conséquent, toutes les sciences qui se rapportent
à ce monde naturel (...) je les mets hors circuit,
je ne fais absolument aucun usage de leur validité ;
je ne fais mienne aucune des propositions
qui y ressortissent, fussent-elles d'une évidence parfaite »
(Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie pure
et une philosophie phénoménologique (1913),
Gallimard, coll. "Tel", p. 101-103).
Carnéade, chef de la III° Académie de Platon
vers 168 av., « probabiliste », ne donne d'assentiment
à aucune représentation. Cependant, le philosophe peut
tenir certaines représentations pour plus fiables que
d'autres, même s'il ne se prononce pas sur leur vérité :
c'est une « représentation probable » (pithanê phantasia),
convaincante. « Probable » signifie ici : probatoire,
soumis à l'examen. Son successeur, Clitomaque dit ceci :
« L'affirmation "Le sage suspend son assentiment"
a deux sens. Selon le premier, le sage n'assentit
absolument à rien [sur la vérité ou la fausseté de
ses représentations]. Selon le second, il s'abstient,
quand il donne une réponse, d'admettre ou de
nier tel point [une représentation approuvable] »
(Cicéron, Les Académiques, II, 104).
L'épochè, ne renie pas la raison (logos) : Arcésilas de Pitane
mis d'ailleurs en place le concept d'εὔλογος / eulogos,
littéralement "la bonne raison". Selon lui, cette doctrine
admet l’action, et le jugement, puisqu’elle n’empêche pas la
prise de position. Simplement, nos actes doivent-être justifiable
par des raisons cohérentes : c’est un accord subjectif de
représentations, qui n’implique aucune affirmation
dogmatique. Arcésilas, contrairement aux sceptiques,
conserve donc un rôle pour la raison et rejette en
conséquence l’inaction. Il propose de se créer une
échelle de valeur tant éphémère
que personnelle, pleinement contextuelle.
Notons d'ailleurs que, d'après Sextus Empiricus,
Arcésilas et Carnéade n'étaient pas de véritables sceptiques,
puisqu'ils affirmaient que les choses sont insaisissables ;
si bien que leur épochè n'était pas complète.
(ἐποχή / epokhế)
http://www.implications-philosophiques.org/actualite/une/politiques-de-lepoche/