DÉBORAH, la JUGE DIT : Deux structures mythiques ont innervé la société de l’Égypte ancienne et sa production littéraire, dès l’apparition des Textes des Pyramides : le mythe archaïque d’Horus et Seth, né au Proto dynastique, et le mythe osirien à partir de la Ve dynastie.
TAY
AINSI,
UNE INTELLIGENCE D'ÊTRE ET D'ESPRIT DANS L'INITIATIVE QUI EST LE SYMBOLE DE LA RÉPUBLIQUE: PRÉSERVER LE TEMPS. TAY
LE CŒUR DU CONCEPT SE LIE À LA RÉALITÉ PERMETTANT AU SOMMEIL D'ÊTRE UN CONSEIL DANS L'INFINI DE L'INCONSCIENT. L'INSCRIPTION DE L'INSTANT SE TRANSFORME DANS LE RESSENTI DE L'INSTINCT. LE RÉVEIL EST AINSI LE RÉVÉLATEUR DE NOS ESPÉRANCES: LE SOMMEIL, LE SOUFFLE ET LE TEMPS.
TAY
LE SILENCE RUMINE DANS LE SOMMEIL LAISSANT LES RUMEURS S'ENTRECHOQUER AVEC LES VÉRACITÉS. LES VICTIMES SONT LES MOUVEMENTS ET L'ÊTRE DEVIENT UN FRUIT. DANS CETTE VÉRITÉ D'IRRÉALITÉ, L'IDÉE EST IRRADIÉ PAR L'ENSEMBLE D'IDÉALISME ENFOUI DANS LE SOI.
TAY
Deux principales structures mythiques ont innervé la société de l’Égypte ancienne et sa production littéraire, dès l’apparition des Textes des Pyramides : le mythe archaïque d’Horus et Seth, né au Protodynastique, et le mythe osirien, qui s’est diffusé très rapidement sur l’ensemble du territoire à partir de la Ve dynastie. Le premier, dont la fonction historiographique originelle est d’expliquer la constitution de l’État pharaonique et la dualité de l’Égypte, a servi de modèle à la pratique juridique et à l’activité administrative et gestionnaire. Le second, qui fixait les règles institutionnelles de la transmission du pouvoir royal, a permis d’élaborer une représentation idéologique de l’adversaire justifiant répression politique et violence étatique. Les deux modèles, toutefois, qui ont coexisté en se superposant parfois, contribuaient à leur manière à assurer la paix civile et la cohésion sociale.
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Mots-clés :anthropologie du droit, auto-condamnation, autorité politique, droit, Égypte ancienne, Horus et Seth, jugement, justice générale, mythe osirien, mythes, ordre social, parabole juridique, procédure, Textes des Pyramides
Keywords :Ancient Egypt, Anthropology of law, General justice, Horus and Seth, Judgement, Juridical parable, Law, Myths, Osirian myth, Political authority, Process, Pyramid Texts, Self-condemnation, Social Order.
Plan
Horus et Seth : les termes du conflit archaïque dans les Textes des Pyramides
Le conflit archaïque : substrat historique, modèle historiographique et culturel
Le modèle archaïque comme référent juridictionnel et administratif
L’instauration de la Réforme osirienne et sa diffusion
Le modèle osirien : l’adversaire initiateur de l’agression
Le modèle osirien : l’adversaire responsable de la répression
Le modèle osirien : l’adversaire est le dénonciateur de sa propre faute
Le modèle osirien : l’adversaire est victime de son propre crime
Confrontation des deux modèles : différences et complémentarité
Quand le faible triomphe du fort…
Horus et Seth : les termes du conflit archaïque dans les Textes des Pyramides
3 Pour une présentation générale du corpus, dont les différentes phases de rédaction pourraient cou (...)
4 J’ai développé ce point dans deux articles récents : « Seth polymorphe : le rival, le vaincu, l’aux (...)
5 Ancient Egyptian Literature. A Book of Readings, vol.I, Berkeley, Los Angeles, London, 1975, p. 56, (...)
3 On ne sera pas surpris de rencontrer dans le vaste corpus des Textes des Pyramides (TP) les sources les plus anciennes évoquant le conflit qui oppose Horus et Seth3. On prendra garde surtout à ne pas confondre ces figures majeures issues de l’univers culturel de l’Égypte archaïque, ou « thinite », avec le jeune Horus et l’» oncle Seth », assassin de son père, du mythe osirien, apparu à l’Ancien Empire, vraisemblablement au tournant des IVe et Ve dynasties4. Comme l’avait très bien exprimé M. Lichtheim, il existe «two distinct traditions: that of Horus and Seth as the original rulers of Lower and Upper Egypt, respectively; and that of Osiris, son of Geb and sole ruler of Egypt until slain by Seth, after which event the kingship over all of Egypt was awarded by the gods to his son Horus»5. On ne saurait assez insister sur l’importance de cette mise au point de M. Lichtheim, qui permet d’éviter la confusion, trop répandue encore, entre deux schémas mythiques d’origine et de destination différentes.
4 De fait, l’un des mythèmes les plus explicites et les plus représentés dans les Textes des Pyramides est précisément celui qui met aux prises les deux acteurs archaïques, dans le cadre de ce qui apparaît comme une agression réciproque et simultanée. La version la plus commune fait état, en effet, d’une attaque simultanée au cours de laquelle Seth arrache l’Œil d’Horus et Horus arrache les testicules de Seth :
Horus est tombé à cause de son œil, Seth a pâti à cause de ses testicules : § 679d [TP 386].
Horus est tombé à cause de son Œil, le Taureau (= Seth) a filé à cause de ses testicules : § 418a [TP 277].
Horus a poussé des cris à cause de son œil, Seth a poussé des cris à cause de ses testicules : § 594a [TP 359].
6 Les formules TP 1001 à 1081 sont celles ainsi numérotées dans l’édition des textes de la pyramide (...)
Horus criaille à cause de l’œil de son corps… Seth glapit à cause de ses testicules : § 01036a-d [TP 1036]6.
7 CT IV, 232a-233. Le TS 335 constitue le prototype du chapitre 17 du Livre des Morts.
5 On rapprochera, dans les Textes des Sarcophages (TS 335) : J’ai complété l’Œil après sa lésion en ce fameux jour du combat des Deux Compagnons. Qu’est-ce donc, ce fameux jour du combat des DeuxCompagnons ? C’est le jour du combat d’Horus avec Seth lorsque Seth commitl’agression sur le visage d’Horus et lorsqu’Horus saisit les testicules de Seth7.
8 Cf. F. Parent, « Seth dans l’Horus d’or des titres royaux », dans Cl. Obsomer, A.-L. Oosthoek (éd. (...)
6 La traduction politique s’impose. En arrachant l’Œil d’Horus, Seth s’en prend naturellement à l’exceptionnelle faculté visuelle du rapace, et donc à la capacité de contrôle du territoire par l’autorité politique. Horus de son côté, en émasculant Seth, vise la « vigueur » (pehty) emblématique du taureau8, et prive ainsi le centre de pouvoir à la fois de ses capacités génésiques et de ses moyens de coercition.
7 À cette version « majeure », en quelque sorte, de la mutilation réciproque d’Horus et Seth, se rattachent toute une série de passages plus allusifs, mais dont la structure est similaire. Une similitude structurelle qui permet d’établir que ces mythèmes secondaires, qui pourraient sembler obscurs au premier abord, en raison de l’évidente rareté documentaire sur les mythologies pré- et protodynastiques, relèvent en réalité de la même thématique fondamentale du conflit archaïque réciproque :
De même que la majesté du pélican Pésedjti est tombée dans le Nil en crue : § 435a [TP 293], § 671c [TP 383] ; De même que la majesté du Nil en crue est tombée à l’intérieur du pélican Pésedjti : § 01035a [TP 1035].
De même que le serpent Nâou a été mordu par Nâout, que Nâout a été mordue par le serpent Nâou : § 233a [TP 230].
De même que le serpent Taureau est tombé devant le serpent Sédjeh, que le serpent Sédjeh est tombé devant le serpent Taureau : § 430a [TP 289], § *2254a [TP *727], § 01038a [TP 1038], § 01041a [TP 1041].
De même que le Mille-Pattes a été frappé par Celui de la Demeure, que Celui de la Demeure a été frappé par le Mille-Pattes (…) : § 425c [TP 284].
8 Version majeure et variantes secondaires expriment un schéma identique, celui d’une agression réciproque traduisant en termes mythiques une situation de conflit entre deux acteurs de statut équivalent. On l’aura compris, la nature même du conflit archaïque est qu’il oppose deux parties statutairement identiques, chacune causant à l’autre un préjudice de même nature, et dans lequel toute notion de responsabilité morale est singulièrement absente.
Le conflit archaïque : substrat historique, modèle historiographique et culturel
9 Sur cette problématique, voir déjà B. Menu, « Le conflit aux origines du premier État connu. Les m (...)
10 Sur la ville de Qoûs, voir notamment H. G. Fischer, «Notes on the Mocalla Inscriptions and Some C (...)
11 Le dieu figure, avec son nom, sur une inscription de la fin de la IIe dynastie (bol BM EA 68689) : (...)
12 Pyr. § 204a [TP 222].
9 Il n’est pas inintéressant de s’interroger sur le substrat géopolitique qui a pu nourrir l’élaboration de ce schéma mythique9. Étant donné les désignations qui leur sont données, les référents (pré-)historiques de ces deux figures archaïques, que l’on pourrait nommer « Horus l’Ancien » et « Seth l’Ancien », sont certainement à chercher du côté de l’Horus de Gésa (ég. Gs3 > Qoûs, puis Apollonopolis Micra)10, d’une part, effacé dans un second temps par l’Horus de Nékhen (Hiéraconpolis), et du Seth de Noubet (ég. Nwb.t > Ombos, Nagada)11, d’autre part, le seigneur du pays de Haute-Égypte », comme le nomment aussi les Textes des Pyramides12.
13 Cf. J.-Fr. Champollion, L’Égypte sous les pharaons, vol. I, Paris, 1814, p. 219-222 ; E. Amélineau(...)
10 La position respective des cités de Qoûs et de Noubet, situées l’une en face de l’autre, de part et d’autre du Nil, à une dizaine de kilomètres au sud de Coptos, et la rivalité que l’on peut aisément déduire d’une telle proximité géographique, pourraient bien être à l’origine du mythème du conflit archaïque. La fortune de Qoûs, qui fut une grande métropole régionale à plusieurs moments de l’histoire antique et médiévale13, était liée à son emplacement stratégique, sur la rive orientale du fleuve, au débouché du ouadi Hammâmât, qui la mettait en relation directe avec les mines aurifères du désert Oriental, ainsi qu’avec les installations portuaires de la mer Rouge. En face d’elle, la cité de Noubet — dont le nom signifie précisément « Celle de l’or » — devait lui disputer sa prétention hégémonique [fig. 1].
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Fig. 1. Qoûs (Gésa) et Ombos (Noubet) à la fin du Prédynastique.
11 Proximité géographique et rivalité politique.
14 On mentionnera notamment le cas des XVIIe et XVIIIe nomes de Haute-Égypte, situés eux aussi de par (...)
15 Sur la constitution de l’État égyptien, voir en particulier B. J. Kemp, Ancient Egypt. Anatomy of (...)
12 Cette concurrence entre deux métropoles ou « chefferies » voisines, qui n’est pas un cas unique dans l’histoire pharaonique14, serait ainsi la source première du motif du conflit archaïque opposant Horus et Seth, l’Horus de Qoûs – Haroéris – ayant été progressivement supplanté dans ce schéma mythique par l’Horus de Hiéraconpolis et ce dernier par l’Horus septentrional de Bouto, pour former finalement le couple canonique Horus (Nord) vs Seth (Sud), bien connu par l’iconographie de l’union du Double-Pays (séma-Taouy)15.
16 Sur la dualité – géographique et culturelle – du territoire égyptien, voir notamment B. Menu, « Na (...)
13 On comprend aisément la portée historiographique du modèle archaïque, puisqu’il permet d’inscrire en termes mythologiques, sous la forme d’un discours (mythos) susceptible de multiples déclinaisons narratives, la partition fondamentale et jamais réellement remise en question – à l’exception peut-être de la doctrine amarnienne – du pays d’Égypte : Haute et Basse-Égypte, vallée et delta, couronne blanche et couronne rouge, Nekhbet et Ouadjet, etc.16
17 Chr. Leitz et al., Lexikon der ägyptischen Götter und Götterbezeichnungen VI, OLA 115, 2002, p. 36 (...)
18 Voir B. Mathieu, La poésie amoureuse de l’Égypte ancienne. Recherches sur un genre littéraire au N (...)
19 Cf. H. Klengel, Hattuschili und Ramses. Hethiter und Ägypter — ihr langer Weg zum Frieden, Mainz a (...)
20 LGG II, OLA 111, 2002, p. 350 ; IV, OLA 113, 2002, p. 447.
21 Ibid. III, OLA 112, 2002, p. 801.
22 Ibid. IV, OLA 113, 2002, p. 703.
23 Ibid. II, OLA 111, 2002, p. 186 ; sans référence à l’Ancien Empire, mais cf. Pyr. § *1963b [TP *6 (...)
24 Ibid. VI, OLA 115, 2002, p. 549.
14 Le conflit archaïque se caractérise d’abord par la concomitance et la réciprocité d’un préjudicecausé par deux adversaires de statut équivalent. Ce dernier aspect est explicité dans la terminologie égyptienne, qui nomme Horus et Seth « les Deux Frères » (Sénouy)17, en recourant à une double caractérisation, morphologique et sémantique : le duel grammatical, qui ne s’applique en principe qu’à un couple « naturel » de deux entités homogènes, et l’emploi du terme sn, qui suppose une identité statutaire. Ainsi en est-il, par exemple, du « frère » (sen) et de la « sœur » (sénet) de la poésie amoureuse, qui ne sont en aucune manière consanguins, mais seulement affectés d’un rang social équivalent18, ou encore de la « fraternité » (sensen) qui unit Ramsès II et son correspondant hittite Hattousil III, selon la phraséologique diplomatique en vigueur dans le célèbre traité hittite de l’an 2119. Horus et Seth sont aussi caractérisés, toujours avec l’emploi du duel soulignant leur identité statutaire, comme « les Deux Dieux » (Nétjerouy)20, « les Deux Seigneurs » (Nebouy)21, « Les Deux Associés » (Rehouy)22, « Les Deux Combattants » (Âhaouy)23, ou encore « les Deux Puissants » (Sékhemouy)24. L’un et l’autre ont, a priori, même rang et mêmes droits.
25 B. Mathieu, « Les ‘Procès’. Un genre littéraire de l’Égypte ancienne », dans E. Bechtold, A. Gulyá (...)
15 Le modèle archaïque du combat d’Horus et Seth constitue ainsi un référent à tout litige survenant entre deux parties de même statut social. On pourrait y reconnaître le prototype égyptien de la monomachie, terme d’ancienne jurisprudence désignant un duel judiciaire, à ceci près que la résolution du litige, dans le contexte égyptien, implique nécessairement la sanction d’une autorité supérieure. L’affrontement des deux dieux, du reste, a abondamment nourri la littérature pharaonique, au point même de constituer sans doute la première source du genre des « Procès », que nous avons récemment mis en lumière25 : le Procès entre Horus et Seth (P. Chester Beatty I = P. BM 10681), le Procès entre Vérité et Mensonge (P. Chester Beatty II = P. BM EA 10682), Le Procès entre Corps et Tête (Turin CG 58004 = Cat. 6238, inv. 16355), ou encore Le Procès entre Vin et Bière (O. DeM 10270). Toutes ces compositions, d’époque ramesside, sont des variations littéraires sur le même thème : celui, précisément, d’une dispute entre deux entités de rang équivalent. La référence au conflit archaïque, toutefois, s’arrête là, puisque ces Procès littéraires ne se terminent pas par un partage équitable, comme le préconise le modèle archaïque, mais par le triomphe d’une partie sur l’autre, de la maât sur isfet, comme l’implique de son côté la doctrine osirienne. De fait, le processus de résolution du conflit est radicalement différent d’un modèle à l’autre, comme nous allons le montrer.
Le modèle archaïque comme référent juridictionnel et administratif
26 Sur ce champ lexical, voir B. Menu, « Comment dit-on ‘juger’ en égyptien », dans Recherches sur l’ (...)
27 LGG III, OLA 112, 2002, p. 639-642.
28 Pyr. § 273c [TP 252].
29 Pyr. § 712c [TP 407].
16 D’après les fragments mythologiques les plus anciens, le conflit archaïque d’Horus et Seth est finalement « jugé » (oup, ég. wp), « tranché » (oudjâ, ég. wdc) par le dieu Thot26. Ce dernier, allégorie de la conscience (ib, ég. jb) du créateur, « seigneur de maât » (neb maât, ég. nb m3c.t)27, est en effet « Celui qui a jugé les Deux Dieux »28. S’assimilant à Thot, le défunt déclare de même : je rendrai justice pour juger entre les Deux Frères29. La motivation de l’arrêt rendu ne saurait faire débat puisque ce dernier émane de l’autorité suprême.
30 Wb I, 554, 4-16. L’Égypte est ainsi une « double part » (pésechty) : D. Meeks, AnLex 77.1492, 78.1 (...)
31 Wb III, 390, 5-392, 1.
32 Urk. IV, 249, 13-14.
33 Urk. IV, 1276, 21 ; Chr. M. Zivie, Giza au deuxième millénaire, BiEtud 70, 1976, p. 66.
34 KRI I, 31, 1 ; cité par N. Grimal, Les termes de la propagande royale égyptienne de la XIXe dynast (...)
35 KRI II, 257, 3-4 ; cf. N. Grimal, op. cit., p. 78-79, dont la traduction (« il est issu du ventre (...)
17 Mais surtout l’arrêt est satisfaisant, pacificateur, en ce qu’il reconnaît à chacun ce qui lui est dû. Horus et Seth reçoivent chacun leur part (péséchet)30 ou leur portion (khéret)31, comme le martèle la phraséologie officielle. Ainsi, parmi de multiples exemples, Atoum déclare à la reine-pharaon Hatchepsout : Je t’ai donné les années d’Horus pour l’éternité néheh et la part (péséchet) des Deux Seigneurs en vie et pouvoir32. Dans l’inscription de la Grande Stèle du temple du Sphinx, à Gîza, Amenhotep II se voit attribuer le trône de Geb et la fonction efficiente d’Atoum, la portion (khéret) d’Horus et (celle de) Seth33. Dans le temple de Karnak, Amon-Rê déclare à Séthy Ier : Je vais te donner le bien des Deux Seigneurs et leur force-victorieuse, les parts (péséchout) des Deux Dieux étant devenues tes parts à toi34. Dans le texte du « Premier mariage hittite », il est dit de Ramsès II : il est issu du ventre alors que lui avaient (déjà) été assignées et qu’avaient (déjà) été réunies pour lui les deux parts (pésechty) des Deux Seigneurs35.
18 Qu’on ne s’y trompe pas : le modèle archaïque ne se restreint évidemment pas à la question de la souveraineté et au partage de l’Égypte, ni aux situations conflictuelles où les deux parties seraient fondées à réclamer une part égale du bien faisant l’objet de la contestation. Il s’agit d’un référent dogmatique de portée générale, qui tout à la fois définit le bon arbitrage et proclame l’infaillibilité d’un arbitrage souverain, d’inspiration divine. Quelle que soit la nature du litige et la proportion du bien que chacun des camps en présence est fondé à réclamer, l’équité sera nécessairement respectée.
36 Comme l’a bien noté Chr.J. Eyre, « Judgement to the Satisfaction of All », dans B. Menu (dir.), La (...)
19Le résultat attendu de la procédure est sans conteste l’apaisement des deux parties et, par conséquent, le rétablissement de la paix sociale36. Les textes égyptiens, de toute nature, de toutes époques, ne cessent de mentionner cette paix (hétépou) retrouvée à l’issue du jugement rendu.
37 LGG VI, OLA 115, 2002, p. 466.
38 Ibid., p. 468.
39 Ibid., p. 469.
40 Ibid., p. 471.
41 MMA 23.10.1 (texte inscrit sur le papyrus, col. 18-19) ; cf. H.E. Winlock, «A Statue of Horemhab B (...)
20Thot, ainsi, parce qu’il répare les préjudices subis, est par définition « celui qui apaise les Deux Seigneurs » (séhétépou Nebouy)37, « celui qui apaise les Deux Dieux » (séhétépou Nétjerouy)38, « celui qui apaise les Deux Associés » (séhétépou Rehouy)39, ou encore « celui qui apaise les Deux Frères » (séhétépou Sénouy)40. À la fin de la XVIIIe dynastie, sur la célèbre statue du général Horemheb qui le représente en scribe assis, Thot est décrit comme le vizir qui juge les affaires, qui calme les troubles dans la paix41.
42 Pyr. § 01052c [TP 1052].
43 Pyr. § 1768b [TP N625 B].
21En contexte funéraire, l’apaisement d’Horus et Seth se transmet métaphoriquement au défunt (« N »). Un passage des TP offre une lumineuse variation sur le thème de la paix recouvrée : viennent les Deux Seigneurs apaisés, pour qu’ils (t’)apaisent, ce N, de la paix qui est auprès d’eux42. Ailleurs, il est dit du défunt, assimilé au créateur : N [installera (?)] Maât pour faire vivre la paix à partir du combat43. On ne saurait mieux synthétiser la situation : la substitution de la paix (hétépou) au conflit grâce à la décision de l’autorité compétente. Le droit des deux parties est reconnu, le juge prononce un partage équitable, le litige est éteint.
44 Cet aspect est abordé par Chr. J. Eyre, op. cit. p. 104. Sur ce cliché autobiographique, voir égal (...)
45 KRI VII, 229, 16 - 230, 2 (col. 48-49) ; B. Ockinga, Y. al-Masri, Two Ramesside Tombs at El Mashay (...)
22Que le modèle du conflit archaïque d’Horus et Seth ait constitué dans l’Égypte pharaonique le référent par excellence de la pratique juridictionnelle ne fait aucun doute. Ce qui le prouve est que la même terminologie utilisée par le mythe est reprise dans les (auto)biographies et les compositions sapientiales lorsqu’elles abordent l’exercice de la fonction judiciaire : à l’instar de Thot, le magistrat se doit de « juger entre les deux parties de manière qu’elles sortent apaisées »44. Sous le règne de Mérenptah, le grand prêtre de This, Inhermosé, déclare dans son autobiographie : J’étais quelqu’un qui jugeait deux parties qui étaient furieuses de manière à les laisser repartir en paix, quelqu’un qui pacifiait deux frères par ma sentence, qui lavait leurs fautes par mon délibéré45. On reconnaîtra sans peine derrière les deux frères le référent mythique d’Horus et Seth.
23Il serait sans doute plus exact, pour respecter la chronologie des faits, de renverser les termes et de poser que le mythe archaïque s’est construit à partir de la pratique juridique institutionnelle érigée en modèle.
46 Autobiographie de Rédoui-Khnoum (stèle Caire CG 20543, XIe dynastie), l. 13-14 ; cf. K. Lange, H. (...)
47 Que le syntagme « Œil d’Horus » serve à désigner ici métaphoriquement le territoire administré ne (...)
48 Cf. S. Aufrère, L’univers minéral dans la pensée égyptienne, BiEtud 105/1, 1991, p. 199-202. Plus (...)
49 CT IV, 232a-233.
24Le domaine judiciaire n’est pas le seul concerné par le référent que constitue le conflit archaïque d’Horus et Seth. Dans les autobiographies, la gestion administrative est tout aussi imprégnée de ce modèle, à bien considérer les séquences du type : Je consolidai ce que j’avais trouvé dégradé, je renouai ce que j’avais trouvé détaché, je complétai ce que j’avais trouvé amputé46. C’est à l’instar de Thot, encore, que le haut responsable reconstitue, à son niveau, l’» Œil » mutilé, à savoir le territoire qu’il administre47. Si l’on n’insiste guère, dans les textes évoquant le mythe archaïque, sur la virilité retrouvée de Seth, en raison de la mauvaise presse de son homonyme du mythe osirien, l’exceptionnelle diffusion de la thématique du remplissage de l’Œil oudjat par Thot comme expression de la résolution de la mutilation initiale d’Horus, en revanche, n’est pas à démontrer48. Citons seulement ce passage du TS 335, prototype du chapitre 17 du Livre des Morts : J’ai complété l’Œil après sa lésion en ce fameux jour du combat des Deux Associés. Qu’est-ce donc, ce fameux jour du combat des Deux Associés ? C’est le jour du combat d’Horus avec Seth lorsque Seth commitl’agression sur le visage d’Horus et lorsqu’Horus saisit les testicules de Seth49.
25 La terminologie utilisée par le gestionnaire, qui « complète ce qu’il a trouvé amputé », légitime ainsi pleinement la lecture sociopolitique du mythe archaïque.
The Beatles - Blackbird...
https://www.youtube.com/watch?v=9l5L34VqzlUOn m’a agressé, on m’a agressé, ce n’est pas moi qui ai agressé (P. Chester Beatty VII, r° 4, 7).
Malheur au méchant : mauvais ! Car il sera traité d’après ce que ses mains ont parachevé (Isaïe 3, 11).
Horus et Seth : les termes du conflit archaïque dans les Textes des Pyramides
Le conflit archaïque : substrat historique, modèle historiographique et culturel
Le modèle archaïque comme référent juridictionnel et administratif
L’instauration de la Réforme osirienne et sa diffusion
Le modèle osirien : l’adversaire initiateur de l’agression
Le modèle osirien : l’adversaire responsable de la répression
Le modèle osirien : l’adversaire est le dénonciateur de sa propre faute
Le modèle osirien : l’adversaire est victime de son propre crime
Confrontation des deux modèles : différences et complémentarité
Quand le faible triomphe du fort…
Le vol du Corbeau ou Nicosie...
LE COMBATIF EST LA VALEUR, L’ÉTHIQUE EST LA RAISON : LA SOUFFRANCE N'EST PAS LA DOULEUR ET EMIL CIORAN DANS SON ABNÉGATION DU NÉE DISTINGUE QUE CERTAINES VALEURS NE SE GAGNENT PAS SANS POSSÉDER UN HÉRITAGE : LA FAIM, LE MARIAGE ET LA PEUR. LA DOULEUR N'EST PAS LA SOUFFRANCE.
DANS CETTE MORALE, JE DONNE UN SILENCE :
CELUI D'ENTENDRE LA JUSTICE DE SOI ET LA VOLONTÉ DE L'AUTRUI...
TAY
SENTIMENTS DU
CITOYEN TIGNARD YANIS
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